Liana me regarda avec des yeux ronds.
Mais… tout le monde sait faire ça, ici !
C’est ainsi que nous apprîmes que, dans ce rêve, les lapins pouvaient devenir des superlapins, des <>. Cette espèce pouvait muter sans problème quand on connaissait la formule. Nous nous mîmes donc
en quête d’en dégotter quatre, afin de réaliser la manœuvre et de pouvoir ainsi avancer sans trop se fatiguer, au grand bonheur de Charly.
– WAOUH, des superlapins ! Rira bien qui rira le dernier, petit sauvage, HA, HA, HA, HAI ricanait-il.
Sans trop de difficultés, Liana nous trouva des lapins angoras. Elle récita le sortilège et pouf ! chacun de nous se retrouva pourvu d’une monture hors du commun.
– Je ne sais pas si c’est une bonne idée, ça… gémit Éli, soudain craintif. Il a l’air nerveux, le mien… Et puis, comme dans notre rêve je suis aussi rapide qu’un guépard, je vais vous suivre en courant.
C’est vrai qu’au premier abord, le rabeefy de notre petit frère avait l’air d’être monté sur ressorts, mais c’était assez normal
: il venait quand même d’être multiplié par six!
– Allez, fais pas ta chochotte,
Éliot ! Pense à Simba… AAAAATCHOUM
1 lui conseilla Charly qui, pour sa part, se cramponnait déjà aux oreilles de son mangeur de carottes.
Écoutant les conseils de Liana, je m’accrochai pour ma part à la fourrure douce et blanche de mon lapin géant.
-Attendez-ma … AAAAAAATCHOUM 1 Mon sang ne fit qu’un tour quand j’aperçus la tête qu’avait Charly. Il était entièrement boursouflé, des oreilles jusqu’au
bout du nez…
– Descend immédiatement de ce lapin, Charly, lui ordonnai-je.
– Pfff, il faut savoir ce que tu
veux, Léa… A… AAA… AAAAATCHOUM 1
Le malheureux faisait une énorme allergie.
– Descend, je te dis ! Tu verrais ta tête : tu ressembles à Punky, ton
ami tarsier !
Un ultime éternuement le désarçonna de sa monture. Liana lui appliqua rapidement sur la figure quelques feuilles d’une plante inconnue ramassée au pied d’un arbre. Ce petit contretemps nous avait fait oublier Éliot et son lapin frénétique, et nous fûmes rappelés à l’ordre par les cris de frayeur de notre benjamin. Il était totalement vert et sa monture semblait incontrôlable.
Décidément quand ce n’est pas l’un, c’est l’autre. Je me demandai ce que j’avais fait pour mériter ça…
Laissant donc Charly et ses yeux
de grenouille aux bons soins de Liana la guérisseuse, je me lançai à cœur vaillant au secours du plus petit. Notre amie, qui connaissait bien les lieux, eut le temps de me crier un avertissement:
– Attention, il se dirige droit vers le précipice !
Ma monture avait beau m’obéir au doigt et à l’œil et bondir comme un kangourou dopé, je devais me rendre à l’évidence : celle d’Éliot avait une sacrée avance.
Je mis mes méninges en action et j’eus alors un réflexe qui sauva, une fois de plus, mon frère en danger. J’empoignai le sablier qui pendait à mon cou et je le lançai comme des bolas1 dans les pattes de l’animal. Sa course fut stoppée net : les pattes entravées, il chuta lourdement sur le sol. Éliot se prec1p1ta vers moi.
-SNIF, SNIF, j’ai eu si peur !
– Je dois avouer que moi aussi, fis-je, soulagé de voir que nous nous en étions sortis à si bon compte.
Force est de constater que je l’aimais bien, mon petit frère.
Remis de nos émotions, nous reprîmes notre route, à pied cette
fois, les rabeefys ne nous ayant pas reuss1.
Un peu plus tard, alors que nous empruntions un chemin parsemé de fleurs des champs, une carriole sans cheval arriva à notre hauteur. Intrigué, je ne pus m’empêcher de poser la question à notre compagne de rêve :
Hum, normalement, il ne
devrait pas y avoir un cheval qui tire cette charrette ?
Pourquoi ? C’est un char ! C’est comme ça, ici ! Pourquoi est ce qu’un animal devrait tirer quoi que ce soit ? Ça avance tout seul, et puis voilà.
Bon, je n’allais pas chercher à comprendre. Il fallait faire vite et, le sablier s’étant brisé lorsque je l’avais lancé, nous n’avions aucune idée du temps qui nous restait. Nous embarquâmes donc dans le chariot sans attelage. Ce n’était pas très confortable, mais
ça roulait. Enfin, sur quelques m’etres…
Pourquoi il s’arrête ?
demanda Éliot, angoissé.
– Il y a un arrêt de char, là. Vous ne l’avez donc pas vu ? fit Liana en haussant les épaules, comme si c’était évident.
– C’est pas pour dire, mais il
n’y a personne à l’arrêt !
À peine Charly avait-il prononcé ces mots u’il fut bousculé violemment. A première vue, il n’y avait personne, mais, petit à petit, un troupeau de volailles apparut à nos côtés. Nous dûmes nous serrer comme des sardines. Un coq à la crête bouclée s’adressa à Charly:
Monsieur, pourriez-vous
vous serrer un peu afin de faire de la place à ma femme, Coquillette ? Y a de la place ailleurs, bougonna mon frère, qui ne
voulait pas bouger.
Le coq insista :
La pauvre a le mal des transports et ne supporte pas de se retrouver à l’arrière.
– Moi aussi, intervint Éliot, j’ai le mal des transports. D’ailleurs, un jour, sur le ferry-boat…
Je l’arrêtai net :
Ça va, Éliot, ne rentre pas dans les détails. Reculons pour laisser place à la famille Poulailler.
Le volatile me reprit sur un ton
1• ron1• que:
– Pff… La famille Poulailler a déménagé l’an passé. Nous, nous sommes la famille Coq. Je m’appelle Coq-au-Vin, voici ma fille, Coquette, et mes jumeaux, Coquetier et Coq-en-Pâte.
À ce moment-là, Charly proposa
•
•
Si vous permettez, j’en
connais une bonne sur les coqs.
J’étais plutôt inquiet. Les blagues de mes frères ne faisaient en général rire qu’eux. J’eus beau
faire <> de la tête, Chacha se lança:
– Quel est le comble d’un coq ?
Éliot cassa l’effet en répondant :
– C’est d’avoir la chair de poule
•
À ma grande surprise, les rires
éclatèrent. Même Liana s’y était mise, me glissant entre deux hoquets:
J’adore tes frères, ils sont géniaux!
– Pas mal ! renchérit Coq-au Vin. Moi aussi, je suis un sacré humoriste d’ailleurs. Eh, toi, avec tes lunettes…
– On m’appelle Super-Charly…
Eh bien, Super-Charly, tu devrais manger des carottes.
– Des carottes? BEURK I Pourquoi devrais-je manger des carottes?
– C’est bon pour la vue. Tu as déjà vu un lapin avec des lunettes
? Hl, Hl, HI 1
C’est dans cette joyeuse humeur que nous fîmes connaissance avec
la basse-cour.
– Allez, tous ensemble, entonna Coquillette. Une poule sur un mur … Qui picore du pain dur… Picoti…
Enchantés, Charly et Éliot se balançaient bras dessus, bras dessous avec nos compagnons de voyage.
Soudain, l’auto-charrette s’arrêta si violemment que nous chutâmes tous les uns sur les autres. En me relevant, j’aperçus Mounrad, qui avait traversé le chemin sans même se soucier de
nous, trop occup,e ‘a tenter
d’attraper un oisillon épouvanté. Aussitôt, je prévins mes compagnons :
– Vite ! Descendons ! Il a le sac de jute, Simba doit être dedans !
La famille Coq eut tout juste le temps de nous adresser ses vœux de réussite. Nous nous éloignâmes sous des cris d’encouragement :
COCORIIIIIIICOOOOOO… COCORIIIIICOOOOO…
Liana prit la tête de notre petite
troupe et s’éloigna loin devant. Je comprenais aisément qu’elle voulait parlementer avec ce drôle d’enfant, qu’elle ne voyait pas du même œil que nous. Je ne doutais pas cependant qu’elle se rendrait très vite à l’évidence.
Les Aventurêves – tome 5 – Rira bien qui rira le dernier
1. Bolas : sorte de lasso terminé par des boules de pierre, utilisé en Amérique du Sud et permettant de capturer les animaux en entravant leurs pattes.
